Témoignage de Pilar et Felipe Caballero, Colombie
P Bonjour. Nous sommes Felipe et Pilar Caballero -Hernéndez, nous sommes morts de peur et nos jambes tremblent à l’idée de parler devant un public aussi nombreux et de le faire d’une manière qui nous oblige à nous déshabiller devant vous tels que nous sommes, sans fard, sans histoires héroïques, mais à partir de notre petitesse et de nos fragilités, en exposant notre coeur, nos sentiments et nos pensées sur l’histoire de notre vie.
Nous avons été invités à Turin pour vous donner notre témoignage. Une histoire qui, comme des montagnes russes, est pleine de hauts et de bas, de douleurs et de joies, d’échecs et de succès, de déceptions et de persévérance, de rejets et d ‘accueils, de résilience, de rencontres et de satisfactions.
Nous sommes comme le café au lait : moi, la dose supplémentaire de caféine, et Pilar, la touche sucrée qui tente d’équilibrer ce tourbillon de folie que l’on appelle l’amour.
Comment parvenons-nous à transformer une histoire de douleurs et de chutes en une source inépuisable d’amour et de rédemption ? La réponse est simple.
Avec le miracle palpable de Jésus au sein de notre relation, avec la présence et l’aide de divers instruments dont il s’est servi, nous avons été amenés à l’un des apostolats des Équipes Notre-Dame et nous avons ensuite réussi à rejoindre les Équipes Notre-Dame.
F Nous sommes colombiens, mariés civilement depuis 33 ans et religieusement depuis 20 ans, et nous avons deux enfants, Nicolas et Mariana, âgés de 31 et 29 ans. Pilar est bactériologiste et je suis médecin spécialiste en chirurgie générale. Avant d’épouser Pilar, j’ai été marié religieusement) ; de cette union est issue une fille, Paula, qui a aujourd’hui 40 ans.
Jusqu’à un an et demi avant de rencontrer Pilar, ma vie a été marquée par la dépendance à des substances addictives et à l’alcool. Une situation douloureuse et dévastatrice qui m’a accompagné pendant plus de 15 ans. Ma décision de changer et de chercher de l’aide était récurrente, mais toujours superficielle et éphémère. Il a fallu que je traverse des situations difficiles, très douloureuses et de maltraitance dans ma vie, comme la mort de ma mère, la mise en danger de ma vie et de celle de mes proches, la perte de mon jeune frère, le fait d’être sur le point de perdre la possibilité de continuer à exercer en tant que chirurgien général, et des situations de mort spirituelle, pour que j’accepte finalement de recevoir une aide professionnelle spécialisée en dehors de mon pays pour le traitement de mon addiction.
P D’autre part, avant que nos chemins ne se croisent, je portais le poids d’une histoire tout aussi douloureuse. Très jeune, j’ai vécu la séparation de mes parents et, en raison de leurs caractéristiques personnelles et émotionnelles particulières, ma vie ne s’est poursuivie ni avec ma mère ni avec mon père, mais, à la suite de décisions qui dépassent ma compréhension, mes quatre frères et soeurs et moi même avons été répartis entre les membres de notre famille, chacun dans un foyer différent. Jai grandi dans une fa mille sui generis, composée de ma marraine et de ses deux soeurs célibataires qui, bien que je sois convaincue qu’elles aient fait de leur mieux pour m’apporter un soutien émotionnel, éducatif et affectif, n’o nt jamais été en mesure de combler le vide existentiel que représentait le fait de me sentir seule et abandonnée.
F L’un ~es éc,hecs do à mon comportement inapproprié et dépendant vis-à-vis de la drogue a été la séparation d avec ma première femme. Ce mariage a pris fin dans les moments les plus difficiles de ma consommation de drogues et sans que j’aie la moindre conscience de la grande part de responsabilité que j’y prenais. Pendant mon traitement, dans les moments de plus grande confrontation thérapeutique, j’ai heureusement pu compter sur le soutien affectueux d’un prêtre catholique, lui aussi dépendant à l’alcool et qui suivait un traitement qui l’a notamment dispensé de consacrer avec du vin.
A partir de sa propre fragilité, cet homme m’a guidé avec amour pour faire mes premiers pas spirituels vers une recherche honnête de Dieu. Je me souviens d ‘avoir toujours été avidement et joyeusement ouvert à toutes ses suggestions, car dans sa faiblesse et dans la mienne, je sentais la force infinie de l’amour de Dieu pour moi. Lorsque je suis revenu dans mon pays, pour affronter la vie à partir de ma condition instable et dangereuse de « récemment rétabl i », j’ai rapidement construit « mon petit autel » qui est encore aujourd’hui mon endroit préféré pour trouver la paix, la proximité et le soutien sur mon chemin d’abstinence et de sobriété.
Après ces années grises de notre vie, et dans mon cas, toujours avec la conscience que seule la volonté, la persévérance et la loi me permettraient de continuer à être abstinent comme je l’ai été depuis que la vie m’a donné cette seconde chance (parce qu’un drogué un jour est un drogué pour la viel, nos chemins se sont croisés. Nous nous sommes rencontrés dans l’une des plus grandes cliniques de notre ville, chacun dans sa profession.
P Je me souviens de nos premières rencontres où presque immédiatement mon coeur a voulu sortir de ma poitrine ; son allure imposante (du moins pour moi !!!) qui remplissait chaque espace où il se trouvait, sa voix grave, son rire, ses mains grandes et fortes m’ont captivée.
F Pour ma part, sa joie et sa fraîcheur, sa démarche gracieuse, son sourire et surtout sa beauté et sa simplicité m’ont enchanté et, comme si notre histoire était déjà écrite, nous avons senti que nous ne serions plus jamais séparés.
Tout s’est passé très vile, sous l’effet de notre attirance mutuelle et, paradoxalement, de notre passé qui nous unissait et nous rendait plus forts ensemble. C’est ainsi qu’un mois après notre rencontre, nous vivions pratiquement ensemble, partageant chaque minute de notre existence qui nous paraissait si courte.
P Comme l’amour était présent, imparfait mais évident, nous avons décidé de nous marier six ans après notre rencontre lors d’une cérémonie civi le à Mexico.
Après avoir prononcé nos voeux devant un juge, nous sommes allés à San Miguel de Allende pour notre lune de miel. Nous nous sommes rendus avec une grande joie à la paroisse de San M iguel Arcémgel, demandant la protection et la bénédiction du Seigneur et de la Vierge pour notre union, car au fond de nous, bien que nous nous sentions rejetés par l’Église, que nous souffrions de ne pas pouvoir participer à !’Eucharistie et que nous nous sentions marginalisés et exclus, nous sentions que Dieu et notre Mère nous regardaient avec amour, malgré nos défauts et nos hauts et nos bas. Ce moment si profond et émouvant a été notre mariage « religieux » entre guillemets, qui a marqué pendant de nombreuses années notre vie de loi et d’union spirituelle, parallèlement à nos visites clandestines dans des églises éloignées de notre domicile, où nous n’avions aucune possibilité d’être remarqués ou rejetés comme nous l’avons souvent été par des prêtres qui connaissaient notre statut de mariés civilement et, dans mon cas, de couple séparé remarié. C’était dur de lutter pour tenter de faire partie d’une église – car c’est ce que nous voulions, mais nous ne nous sentions pas intégrés.
F Paula, fille de mon premier mariage et moteur de ma guérison, puis nos enfants, Nicolas et Mariana, arrivés quelque temps après notre union civile, ont été baptisés, ont fait leur Première Communion et ont été confirmés, parce que nous voulions leur donner une éducation dans laquelle le Christ serait présent dans leur vie. Nous assistions régulièrement à la messe dominicale, où nous étions chaque fois confrontés à la douloureuse réalité de ne pas pouvoir recevoir l’Eucharistie. À plusieurs reprises, nous avons été rabroués du sacrement de la confession, et demeurions inconsolables. À plusieurs reprises, nous nous sommes sentis rejetés et questionnés de manière dure et injuste, même par certains amis qui nous rappelaient que nous ne pouvions pas recevoir la communion, et il y a eu de nombreux sentiments de colère et de frustration d’être exclus et de se sentir comme des catholiques d’une catégorie différente.
P Bien que je n’aie jamais reçu d’éducation religieuse approfondie à l’école, et encore moins dans ma famille, au fond de mon coeur, j’ai toujours eu Jésus avec moi et j’ai su que j’étais bénie et privilégiée par son amour infini. Dans mon enfance, mon adolescence et ma jeunesse, sa présence dans ma vie, que je ne percevais pas pleinement, a été miraculeuse et a comblé les douleurs générées par l’histoire de ma famille. Aujourd’hui, je sais que j’ai toujours marché main dans la main avec lui à travers ces sombres ravins dans lesquels il s’est révélé à moi chaque jour davantage, à mesure que je me livrais et m’abandonnais à partir de mes fragilités.
Au début de ce partage, nous vous avons dit que notre histoire est avant tout une histoire de persévérance dans laquelle s’est opéré un miracle. Pourquoi un miracle ? Un miracle est un événement extraordinaire généré par la puissance de Dieu qui conduit à la restauration de la vie au-delà des limites humaines y compris contre les préjugés et c’est ce qui s’est passé en nous. Dans ce désir que nous avions dans le coeur, nous étions avides de faire une expérience plus proche de la foi, et nous étions donc attentifs à tout signe qui nous conduirait dans cette direction.
C’est avec cette sensibilité que nous avons remarqué que certains parents de la crèche où nous emmenions nos enfants parlaient de réunions d’équipe. Nous avons cherché à en savoir davantage sur cette expérience.
Lorsque nous nous sommes renseignés plus en détail, nous avons été à nouveau déçus de constater que les portes nous étaient fermées, parce que nous ne pouvions pas accéder à cet espace privilégié des Equipes Notre Dame car nous étions un couple marié civilement et que nous ne pouvions pas recevoir le sacrement du mariage. La douleur et la frustration furent très grandes. Nous nous sentions rejetés non seulement par l’Eglise mais aussi par nos propres amis. Nous étions définitivement des chrétiens de seconde catégorie ; une dure réalité que nous devions accepter, avec un stigmate qui laissait des blessures profondes et difficiles à guérir.
Cependant, une lumière est apparue dans l’obscurité. Un couple d’amis de l’école de nos enfants nous a dit qu’il connaissait une expérience de conjugalité dans laquelle travaillaient des couples des END qui accompagnaient des couples séparés remariés, ils appelaient cela des apostolats. C’est ainsi qu’ils nous ont donné les coordonnées de véritables apôtres lnous comprenons aujourd’hui le vrai sens de ce mot), qui sont devenus nos parrains spirituels et des personnes qui ont marqué notre vie. Ils nous ont accueillis avec beaucoup d’amour, nous invitant à assister pour la première fois à une réunion d’information sur « L’amour en couple », à laquelle participaient plusieurs couples des END pleins d’amour et de compassion envers nous, et d’autres couples qui vivaient la même situation que nous en tant que divorcés-remariés. Pilar et moi étions profondément heureux de trouver pour la première fois un espace où la prière, le soutien mutuel et la croissance spirituelle renforceraient notre relation avec Dieu, qui était jusque-là fragile et variable.
F Incapables de recevoir le corps et le sang du Christ, notre statut de « divorcés-remariés » nous a conduits à unir nos forces en tant que couples et à lutter ensemble pour obtenir le sacrement de l’Eucharistie tant désiré. Finalement, la décision est devenue réalité. Nous avons décidé d’entamer le processus de demande de déclaration de nullité du mariage, car nous considérions qu’il présentait de nombreuses conditions d’invalidité. Nous avons mené à bien ce processus, obtenant ainsi la nullité de ce lien. Après l’avoir obtenue, nos trois enfants en tant qu’enfants d’honneur, quelques compagnons de route es END, notre famille et nos amis nous ont accompagnés comme témoins de notre « oui » définitif devant Dieu. Nous avons alors reçu le sacrement de !’Eucharistie tant désiré, que nous connaissions et désirions a lors du plus profond de notre être. Pilar et moi avons reçu avec un enthousiasme, une ferveur et un impact merveilleux ce que nous avions désiré pendant tant d’années de lutte. Ce fut pour nous deux un moment sublime. L’Eucharistie fut le centre de tout notre être et de notre esprit. Nous nous étions battus pour cela et nous l’avions obtenu.
Nous n’avions pas reçu le sacrement, nous l’avions gagné sur un chemin de lutte et de rédemption.
Jésus s’est révélé à nous deux et nous fûmes alors trois. Nous avons commencé à percevoir réellement, d’une manière différente, sa présence dans notre esprit et dans notre être intérieur.
À partir de ce moment-là, notre vie n’a plus jamais été la même. Nous étions pourtant dans la même maison, dans le même lit, dans le même environnement, mais avec la grande différence qu’au milieu de nous deux, la figure de notre Seigneur se révélait peu à peu. Au fur et à mesure que sa présence se faisait plus grande, nous comprenions que nous devions être plus pauvres, plus humbles et plus petits, l’expérience eucharistique agissait comme un baume qui apaisait nos b lessures émotionnelles les plus profondes. Le fait de pouvoir reconnaître Dieu dans l’autre a favorisé le respect mutuel, la générosité, la compassion, la joie et la miséricorde, générant dans nos âmes une attitude de pardon. La prière commune est devenue un langage unique qui a progressivement uni nos coeurs d’une manière que nous n’avions jamais expérimentée auparavant. Dans ces moments de recueillement partagé, nous nous sommes immergés dans un espace sacré qui nous a appris qu’il ne s’agit pas seulement d’un acte de communication avec Dieu, mais d’un moyen de communiquer profondément l’un avec l’autre, de faire de nous une seule chair, de révéler nos désirs, nos espoirs et notre gratitude que nous ne serions peut-être pas capables d’exprimer autrement.
Cet héritage qui nous a transformés et rachetés avec tant d’amour est ce que nous essayons de transmettre aujourd’hui à nos enfants et à la société à laquelle nous appartenons ; c’est la réalisation la plus importante que nous avons obtenue en tant que couple et en tant que membres actifs des Equipes Notre-Dame qui ont été des instruments de guérison.
Ne cessons jamais d’agir, de communiquer et d’aider à guérir, en ayant toujours, comme le dit le pape François, la conscience et la décision d’être un hôpital de campagne, en allant à la rencontre de ceux qui ont besoin de nous.
Nous sommes les témoins privilégiés de ce miracle.
Merci beaucoup pour votre écoute patiente et respectueuse.