Handicap et sexualité

Handicap et sexualité

Handicap et sexualité

« Je n’en peux plus, j’ai envie d’être touché ! ». Il a trente ans environ, celui qui réclame ainsi une assistance sexuelle. Membres atrophiés, totalement dépendant, on peut imaginer qu’il est pourtant sans cesse touché par ceux qui prennent soin de lui… Comment ne pas entendre alors derrière ce cri un immense besoin de plaisir, d’amour, bien au-delà d’une manipulation par des mains de professionnels qualifiés ?

Parler de « handicap et sexualité » suppose avoir en mémoire cette « agonie du désir » que vivent nombre de personnes handicapées, et discerner les attentes profondes derrière les demandes. Les écueils ne manquent pas : réduire la sexualité des personnes handicapées à un problème, et en oublier la beauté qui se cache en creux derrière la souffrance ; chercher une réponse à ce problème, pour apaiser celui qui souffre, certes, mais aussi pour diminuer notre propre souffrance à le voir souffrir.

Il n’y a pas de sexualité spécifique des personnes handicapées

Les personnes handicapées, comme tout un chacun, et peut-être encore plus que d’autres du fait de leur handicap, ont besoin d’une vie sociale riche. C’est dans une appréhension globale de leur vie qu’elles peuvent développer une vie sexuelle humanisante. Car toute relation est sexuée, qui ne se limite pas à la dimension génitale, mais s’étend à toutes les dimensions de notre être : émotions, désirs, plaisirs, pulsions, fantasmes, rêves, tendresse… toutes choses qui sont nécessaires pour développer la dimension sexuée de chacun. Si cette vie relationnelle est insatisfaisante, c’est cela qui doit être interrogé avant tout, sans quoi toute approche de la sexualité sera biaisée.

« Les seules personnes que je vois sont payées pour cela »

Or, trop souvent hélas, le handicap met à part la personne. Elle n’a souvent pas accès aux loisirs, à la vie culturelle, professionnelle, voire la vie spirituelle ou cultuelle… Son environnement en est appauvri, réduit à quelques personnes : « Les seules personnes que je vois sont payées pour cela » a lancé une personne handicapée moteur. Or, la gratuité est un élément fondamental de cette vie sociale et relationnelle, a fortiori de la vie affective et sexuelle : car l’enjeu est bien d’être sujet avec d’autres sujets. Ceci vaut encore plus pour des personnes qui, du fait de leur handicap, se voient « prises en charge » au risque de se sentir dépossédées de leur corps devenu « objet » de soins.

Y a-t-il un droit à la sexualité ?

Cette expression n’est pas ajustée, qui sous-entend que quelqu’un aurait des obligations. Elle affecte singulièrement la notion de consentement réciproque, et laisse penser que l’exercice de la sexualité génitale est le seul moyen d’apaiser les tensions, de vivre le plaisir, voire de connaître le bonheur auquel on aspire, alors même qu’il relève de cette qualité de vie globale dont la dimension sexuelle est partie.

Handicap et sexualité

En revanche, il est plus légitime de parler du besoin d’être reconnu dans ses désirs profonds de tendresse, d’attention, de plaisir corporel, de transmission de la vie… La reconnaissance de ce besoin universel ouvre à une véritable fraternité, dans un compagnonnage réciproque, y compris dans la vie affective et sexuelle, avec ce qu’il suppose d’écoute, de respect, de délicatesse, de parole échangée, dans une relation de « mutualité » : entendre ce désir afin de faire émerger l’humain. Mais pour cela, il faut que nous sortions de nos cases étriquées, « handicapés / valides », pour ouvrir à la rencontre !

Handicap et sexualité

Une invitation à sortir de nous-mêmes

« Je n’en peux plus, j’ai envie d’être touché » révèle en réalité un véritable défi pour notre société : voulons-nous, les uns et les autres sortir de nous-mêmes pour oser la rencontre et nous laisser toucher les uns par les autres ? En matière de sexualité, comme en tant d’autres sujets, notre société post-moderne est sous la tyrannie de la normalité, de l’immédiateté, de la technicité, de la performance, qui nous rétrécit. Les personnes handicapées invitent à une autre logique : une véritable fraternité bienveillante qui dilate, et qui ouvre un chemin de lente humanisation de nos vies, y compris affective et sexuelle, où maturation, chasteté, sublimation prennent sens pas à pas.

 

Article de Philippe de Lachapelle (directeur de l’Office Chrétien des personnes Handicapées (OCH)), paru dans La Lettre des Equipes Notre-Dame n°244 – décembre 2021/janvier 2022

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