Un chrétien s’interroge sur la messe du dimanche dans sa paroisse. Il s’y sent plus ou moins à l’aise. Il aimerait trouver un lieu de célébration qui convienne mieux à sa sensibilité, où sa foi pourrait mieux être nourrie et s’exprimer. Mais il hésite : est-ce juste, est-ce qu’on choisit ses frères ? Est-ce qu’on choisit la façon dont le Christ vient à notre rencontre ? Saine inquiétude qui révèle déjà une profonde sensibilité chrétienne. Mais n’en tirons pas trop vite des certitudes. Explorons d’abord la question.
Une unique source, des formes multiples
« Communauté » s’apparente à « communion » : « Qu’ils soient un, Père, comme toi et moi nous sommes un ». Notre union au Christ nous met en communion les uns avec les autres. La communauté, elle, va donner corps à cette communion. Elle n’est ni accessoire ni facultative. Elle est la nécessaire incorporation et manifestation de cette union que le Christ lui-même structure.
Mais la communauté peut prendre des formes multiples. La tradition de l’Église en témoigne. Au tout début de l’Église, les disciples mettaient tout en commun : leurs prières, leurs biens, le repas eucharistique. On sait que, très tôt, cette belle communion, à la fois matérielle et spirituelle, fut blessée par la rivalité ou l’appât du gain et que cette grâce, donnée dans le Christ, avait sans cesse besoin d’être entretenue ou restaurée.
Cependant, très vite aussi, la communion chrétienne put se traduire sous des formes de communautés de plus en plus variées. Si les maisons d’Église, qui permettent aux chrétiens de se rassembler le dimanche pour le repas du Seigneur, se multiplient et donnent naissance assez rapidement à nos paroisses, très vite aussi se constituent des communautés de pères du désert, de moines, de vierges, dont la base n’est pas l’appartenance territoriale, mais un style de vie chrétienne, librement choisi. Plus tard viendront les congrégations religieuses qui créent un nouveau modèle de communauté, lequel varie selon les spiritualités. On peut encore assister de nos jours au surgissement de multiples communautés nouvelles, chacune marquée par une sensibilité particulière. Il faut y ajouter tous ces mouvements qui regroupent un grand nombre de chrétiens autour d’une tâche, d’une spiritualité, d’une situation sociale et qui constituent des ensembles que l’on peut qualifier de communautés.
Simultanément, subsistent les paroisses dont les clochers dominent villes et villages, mais qui elles mêmes présentent souvent des visages bien différents.
Ce survol historique, bien rapide il est vrai, rend notre question de départ plus complexe. Avant d’aller plus loin, tirons-en quelques conclusions, encore partielles, mais importantes.
Tout d’abord, la communauté n’est pas un accessoire. Nous pourrons même dire qu’elle est un signe nécessaire de notre appartenance au Christ. Mais il n’y a pas de modèle unique. Si la communauté fait partie intégrante de l’art de vivre chrétien, cet art peut se traduire en divers styles, de formes, de couleurs, de musique variant à l’infini. L’Église se doit de favoriser cette diversité, à condition de ne pas nuire à l’unité. Elle le fait ici ou là, peut-être pas encore suffisamment, mais de façon souvent très créative.
Alors rebondit la question : « Est-ce que je peux choisir ? ».
Choisir ?
Aujourd’hui, il n’est pas rare de rencontrer des chrétiens qui se déplacent loin pour rejoindre la communauté où ils célébreront l’Eucharistie du dimanche : ils vont à la paroisse de leur choix, une chapelle ou un monastère. D’autres décident de ne célébrer que dans des petits groupes, à des rythmes et dans des conditions différentes de la pratique régulière du dimanche. Il en est, de plus en plus nombreux, qui aimeraient bien se retrouver dans une église à proximité de chez eux. Mais l’église est fermée, le prochain lieu de rencontre est à des kilomètres. Le choix se réduit alors au courage de se déplacer ou au renoncement.
Ne l’oublions pas : nombreux sont encore ceux qui trouvent naturel de rejoindre chaque dimanche la communauté paroissiale de proximité. Combien sont-ils ? C’est difficile à dire quand les statistiques récentes sur la pratique se fondent sur un critère mensuel et non plus hebdomadaire. Mais la question n’est pas là. Dans cette diversité de possibles, qu’est-ce qui va guider mon choix ? Car il y en a toujours un. Mais selon quels critères ? Qu’est-ce que je veux vraiment et, plus encore, que m’est-il demandé ?
Qu’est-ce que je cherche : un confort spirituel, affectif, esthétique ?… ou un soutien de ma foi et de ma prière ?
Les motivations dévoilées
De toutes façons, chacun de nous choisit, même s’il rejoint le rassemblement communautaire paroissial le plus courant. Pour que la décision soit vraie, il faut la soumettre d’abord à la logique de la foi. Qu’est-ce que je cherche : un confort spirituel, affectif, esthétique ? un accord idéologique ? ou, plus modestement et sans doute aussi plus fréquemment, un soutien de ma foi et de ma prière, une proximité fraternelle ?
Avant d’évoquer la source même de l’appel à vivre la communauté, rappelons qu’il est légitime qu’une communauté puisse accueillir les désirs et les sensibilités de ses membres. Et pour cela, il est nécessaire que les membres de la communauté soient associés à son animation.
Si la communauté est contraignante ou frustrante au point de ne plus permettre de respirer, humainement et spirituellement, peut-être, en effet, faut-il chercher un lieu qui fasse vivre mieux.
Mais il est normal aussi, et même inévitable, d’avoir à consentir à certaines frustrations. Encore une fois, que cherchons-nous : le bien-être ou la possibilité de vivre la communauté dans sa vérité chrétienne ?
Choisir devient alors réponse au désir de Dieu sur nous : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ». Alors nous saurons comment choisir.
C’est dimanche
Là, je rejoins le coeur même de cette résurrection à laquelle il m’est donné de croire. C’est un jour parmi d’autres ; mais pas un jour comme les autres. C’est celui où je me souviens du jour où se lève la lumière de tous les matins ordinaires.
Je ne suis pas seule. Ceux qui sont là, ce n’est pas moi qui les ai choisis. Ils me sont donnés, ce jour, comme frères et soeurs. Nous pouvons silencieusement, ou d’un geste, nous accueillir réciproquement. Quand nous aurons à nous parler, peut-être à prendre une décision commune, allons-nous nous entendre ? Peut-être pas.
Mais nous sommes en commun « tournés vers Dieu » comme le Fils lui-même. Ensemble, nous écoutons sa parole et nous sommes nourris de son corps. Cette église où nous célébrons, je ne suis pas sûre qu’elle me plaise, mais je me prends à l’aimer, pour ce qui s’y vit et me donne de vivre.
C’est dimanche. Que ce soit ici ou là, je ne saurais me passer du dimanche.
Régine du Charlat
Religieuse auxiliatrice, théologienne.
Extrait de la Lettre 258
Eucharistie : la sagesse nous invite au festin